Agir ou ne pas agir sur le bâtiment
- eGreen
- 19 août
- 7 min de lecture

Nous avons récemment échangé avec Julie POUËSSEL (Chef projet Gestion de Patrimoine Immobilier Exploitation / Maintenance) au CEREMA. Elle est notamment revenue sur le rapport Agir ou ne pas agir sur le bâtiment publié en décembre 2024.
Voici un résumé de nos échanges :
Propos recueillis par Marion DUBOIS
Contexte
>> Pouvez-vous présenter brièvement le rapport Agir ou ne pas agir sur le bâtiment et ses objectifs ?
Le rapport Agir ou ne pas agir sur le bâtiment, publié par le Cerema en décembre 2024, propose un travail de définition et de cadrage de la notion d’inaction dans la gestion du patrimoine immobilier.
Il vise à faire le lien entre les cas d’inaction, à savoir ce qui devrait être fait mais ne l’est pas ou pas correctement, et leurs conséquences souvent peu ou mal perçues, qu’elles soient financières, techniques ou humaines pour les gestionnaires de bâtiments.
Le rapport distingue plusieurs formes d’inaction (réglementaire, maintenance, rénovation, confort / santé) et souligne que, bien souvent, les données permettant de chiffrer ces inactions sont absentes ou peu diffusées. D’où la nécessité d’une méthodologie adaptée afin que chaque gestionnaire puisse évaluer les coûts liés à l’inaction sur son patrimoine.
Basé sur des recherches et des entretiens avec des acteurs de terrain, ce travail fournit un premier cadre d’évaluation pour aider les collectivités à prendre des décisions éclairées, en intégrant les coûts de l’inaction dans leur stratégie patrimoniale.
>> Quels sont les domaines les plus critiques où l’inaction est aujourd’hui la plus fréquente dans le secteur du bâtiment tertiaire ?
Il n’existe pas de statistiques précises permettant d’identifier un domaine d’inaction plus critique qu’un autre. En revanche, les retours de terrain montrent que les difficultés se concentrent souvent sur la connaissance du patrimoine et la maintenance.
Par manque de moyens humains et financiers, ces deux piliers de la gestion immobilière sont souvent négligés.
Or, il est impossible de piloter efficacement un patrimoine sans en connaître l’état, les usages ou les besoins.
Enjeux & impacts
>> Quelles sont les principales conséquences de l’inaction à la fois pour le gestionnaire et pour les usagers des bâtiments ?
Pour le gestionnaire, l’inaction se traduit par une perte de maîtrise des coûts, notamment énergétiques, une usure prématurée des équipements et des dépenses élevées en maintenance curative d’urgence.
Elle peut aussi entraîner une perte d’assurance ou une dévalorisation du patrimoine, tant sur le plan économique que de l’image. L’inaction peut conduire à la fermeture temporaire d’établissements, générer des pertes d’exploitation, et nuire à la productivité et à la qualité du service rendu.
Côté usagers, les effets sont tout aussi concrets : inconfort thermique, risques sanitaires et accidentels.
>> Peut-on aujourd’hui quantifier les effets négatifs d’un défaut de maintenance ou de rénovation énergétique ?
Il est possible de quantifier une partie des effets de l’inaction, en particulier les coûts directs. Par exemple, on peut comparer le coût d’une maintenance régulière avec les surcoûts d’interventions curatives avec remplacement anticipé d’équipement, comme une chaudière à changer au bout de 10 ans plutôt que 25.
L’approche consiste à décomposer les conséquences en éléments simples (perte d’exploitation, surconsommation énergétique, interventions d’urgence…) et à les monétariser autant que possible. Cela permet d’estimer un coût minimal de l’inaction, même s’il reste partiel.
En revanche, les impacts sur la santé des occupants ou la qualité du service sont plus difficiles à chiffrer précisément. L’objectif n’est pas de produire une valeur exacte, mais une approximation éclairante, qui aide à décider en connaissance de cause.
>> Le rapport souligne également le rôle des réglementations, comme le décret tertiaire, en quoi ces obligations modifient-t-elles la donne pour les acteurs du secteur immobilier ?
Le décret tertiaire impose des objectifs de performance chiffrés et crée une obligation de résultat globale au niveau du parc. Il pousse ainsi le gestionnaire à s’interroger sur l’ensemble de son parc afin d’établir une stratégie de réponse au dispositif. Pour se faire, les gestionnaires doivent acquérir une connaissance approfondie de leurs bâtiments et structurer une stratégie globale d’amélioration de leur parc.
Cette obligation peut/doit être considérée comme un levier positif, en créant une dynamique collective autour de la gestion énergétique.
Des dispositifs d’accompagnement existent, notamment pour les gestionnaires publics, avec des réseaux d’échange, des formations et des outils pour faciliter la mise en œuvre de la réglementation décret éco-énergie tertiaire.
En cas de non-respect des réglementations, de façon générale, les risques sont réels : sanctions, perte d’assurance, ou dégradation de la valeur du patrimoine.
Risques & vulnérabilité
>> Le rapport parle d’augmentation des primes d’assurance en cas de défaut d’entretien. Ce phénomène est-il déjà observable ?
Oui, ce phénomène est déjà perceptible et documenté (cf rapport du Sénat n°474 du 27/03/24 - problèmes assurantiels des collectivités territoriales), notamment à la suite d’épisodes climatiques extrêmes qui ont mis en évidence la vulnérabilité croissante des bâtiments.
Les assureurs deviennent plus stricts : certains exigent désormais des informations détaillées (adresses, surfaces, rapports de vérifications réglementaires vierges, procédures de mise en sécurité), et peuvent refuser de renouveler un contrat en cas de manquements.
Une hausse des cotisations pour certains acteurs n’ayant pas de politique claire d’entretien est probable.
>> Comment l’inaction peut-elle impacter la valeur marchande ou locative d’un bien bâtiment tertiaire ?
Même s’il n’existe pas encore de chiffres consolidés, on parle de plus en plus de “décote brune” : une baisse de valeur pour les bâtiments peu performants énergétiquement. Dans le secteur privé, cela se traduit déjà par des difficultés à louer au prix souhaité des bâtiments mal entretenus ou obsolètes.
Un bâtiment offrant un meilleur rapport performance/prix sera naturellement privilégié. À l’inverse, l’inaction pousse le propriétaire à baisser le loyer pour éviter une inoccupation prolongée. Ce phénomène est d’autant plus visible dans les marchés locatifs professionnels, où les occupants sont souvent des entreprises attentives à leur image et à leurs charges.
Perspective & leviers d'action
>> Quels leviers identifiez-vous pour aider les gestionnaires à passer de la réaction à l’anticipation ?
Pour passer d’une gestion subie à une gestion active du patrimoine bâti, il est important d’instaurer une démarche structurée qui peut reposer sur 6 étapes :
organisation de la maîtrise d’ouvrage (qui fait quoi)
connaissance fine du parc
définition d’une stratégie priorisée
élaboration d’un plan d’action
mise en oeuvre
évaluation et capitalisation de l’expérience en vue d’un réajustement éventuel
Il est essentiel d’y associer une réelle démarche organisationnelle, soutenue par une volonté politique. L’implication des décideurs est déterminante pour mobiliser les ressources humaines, techniques et financières nécessaires. En parallèle, la montée en compétence des équipes est indispensable, notamment pour acquérir une meilleure connaissance technique et réglementaire des bâtiments, souvent à l’origine de l’inaction.
Le Cerema joue un rôle de centre de ressources et d’accompagnement dans cette transition : il met à disposition des outils sur la plateforme documentaire doc.cerema.fr pour les collectivités souhaitant structurer leur démarche.
>> Le suivi des consommations et la mise en place d’un système de management de l’énergie sont-ils aujourd’hui indispensables pour un gestionnaire ?
Oui, mais à condition que ce soit adapté.
Face aux objectifs de réduction des consommations énergétiques et aux obligations réglementaires croissantes (décret tertiaire, décret BACS), le suivi des consommations devient incontournable.
Ce qui est essentiel, c’est de dimensionner l’outil ou le système (par exemple type GTB ou Système de Management de l'Énergie) en fonction du patrimoine géré, des usages réels et des moyens humains et financiers mobilisables pour son exploitation.
Une petite collectivité peut tout à fait mettre en place un suivi simple mais efficace avec des outils adaptés à ses besoins propres. À l’inverse, des systèmes complexes et non adaptés au besoin réel, installés sans appropriation ni stratégie, se sont souvent révélés inefficaces, voire contre-productifs.
Il est préconisé d’adopter une logique de « juste besoin » : construire une démarche sur mesure, pragmatique, qui respecte les obligations tout en apportant une réelle valeur ajoutée au gestionnaire.
>> Quelles actions concrètes recommandez-vous aux gestionnaires de patrimoine immobilier qui souhaitent amorcer une stratégie proactive mais qui disposent de moyens financiers & humains limités ?
Pour un gestionnaire qui part de zéro et avec peu de moyens, la première étape consiste à s’acculturer au sujet. De nombreuses ressources gratuites sont disponibles : guides méthodologiques, modèles de documents, retours d’expérience…
Lorsque les moyens humains sont limités, il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’appui extérieur : assistant à maîtrise d’ouvrage, agences techniques départementales, bureaux d’études spécialisés, accords cadres proposés par l’UGAP…
Sur le plan financier, il existe plusieurs dispositifs publics pouvant être mobilisés, notamment ceux portés par l’ADEME ou à travers des appels à projets territoriaux. Le Cerema met d’ailleurs à jour chaque trimestre un panorama des financements disponibles, consultable librement, qui peut servir de point de départ solide.
L’enjeu n’est pas de tout faire tout de suite, mais de savoir par où commencer, avec qui, et avec quels outils, et de structurer l’action sur le plus ou moins long terme. S’informer, s’entourer et cibler les financements sont les premières actions concrètes pour enclencher une démarche proactive réaliste.
>> En quoi la maintenance préventive constitue-t-elle, selon vous, un investissement plutôt qu’une charge ?
La maintenance préventive est trop souvent perçue comme une contrainte alors qu’elle constitue en réalité une opportunité stratégique.
L’investissement au sens comptable du terme ne représente que 25% des coûts sur la vie d’un bâtiment et de ce fait, environ 75 % des coûts tout au long de la vie d’un bâtiment sont générés par les actions d’exploitation et de maintenance durant sa phase d’exploitation. Agir de façon systématique et préventive permet ainsi de limiter le coût global du bâtiment en limitant les surcoûts engendrés par les actions d’urgence et les remplacements prématurés d’équipements.
En prolongeant la durée de vie des équipements et des matériaux, on réalise des économies à la fois financières et environnementales. Les actions d’exploitation et de maintenance préventive permettent ainsi de limiter la consommation de ressources et d’énergie inutiles, un enjeu crucial aujourd’hui.
Ces actions, bien que peu visibles du public ou des décideurs, sont pourtant essentielles : elles contribuent au confort quotidien des usagers, à la sécurité des bâtiments, et participent activement à une gestion durable du patrimoine. Elles mériteraient d’être davantage mises en avant et reconnues à leur juste valeur.
Pour aller plus loin
Rapport Agir ou ne pas agir sur le bâtiment
À propos du Cerema
Le Cerema accompagne l’Etat et les collectivités territoriales pour la transition écologique, l’adaptation au changement climatique et la cohésion des territoires par l’élaboration coopérative, le déploiement et l’évaluation de politiques publiques d'aménagement et de transport.
Le Cerema agit dans 6 domaines d’activités : expertise & ingénierie territoriale, bâtiment, mobilités, infrastructures de transport, environnement & risques, mer & littoral.
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