Performance énergétique : quelles sont les bonnes pratiques européennes ?
- eGreen
- il y a 5 heures
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Nous avons récemment échangé avec Sarah Kowal (Experte de haut niveau) et Cécile Thévenin (adjointe à la sous-directrice stratégies & expertises) de la direction de l’immobilier de l’Etat (DIE).
Elles sont notamment revenues sur le benchmark évoquant la thématique de la performance énergétique du parc immobilier de l’Etat publié au printemps 2025.
Voici un résumé de nos échanges :
Propos recueillis par Marion DUBOIS
Contexte
>> Pouvez-vous présenter brièvement le Benchmark mené sur la performance énergétique du parc immobilier de l’Etat. Quels étaient les objectifs principaux ?
Ce projet est financé par l'Union Européenne (DG REFORM, European Commission), au bénéfice de la direction de l'immobilier de l'État (DIE) et de son homologue néerlandais, le RVB. Il avait pour objectif de réaliser une étude comparative des pratiques en matière de rénovation énergétique mises en œuvre par les structures chargées de l'immobilier de l'État dans toute l'Europe.
Un précédent benchmark avant été réalisé en 2022 afin d’observer l’organisation de la gestion de l’immobilier de l’Etat dans les autres pays.
Enjeux climatiques, énergétiques et carbone
>> Où en est aujourd’hui le parc immobilier de l’Etat dans sa trajectoire de décarbonation ?
Le parc immobilier de l’État, qui représente environ 97 millions de m² de surface bâtimentaire, poursuit activement sa trajectoire de décarbonation.
Depuis la feuille de route sur la transition énergétique lancée en 2016, des travaux ont démarré dès fin 2017 pour mieux connaître le parc et en suivre les consommations énergétiques. Cette feuille de route, valable jusqu’en 2023, a permis de structurer une approche progressive.
Depuis 2024, la décarbonation est formellement intégrée dans les objectifs de gestion immobilière, aux côtés d’autres enjeux comme la biodiversité, l’économie circulaire et l’adaptation au changement climatique.
Le parc immobilier de l’Etat, à l’image du parc français dans son ensemble, est majoritairement constitué de bâtiments existants. Le taux de renouvellement des bâtiments anciens par des bâtiments neufs est inférieur à 1% par an.
Avec un parc majoritairement existant, les 2 principaux enjeux sont :
la décarbonation du parc qui repose majoritairement sur la transition énergétique (réduction des consommations et sortie des énergies fossiles)
l'adaptation au changement climatique
Cette transition s’inscrit dans un contexte d’investissement soutenu : 4,4 milliards d’euros ont été mobilisés depuis 2018, notamment dans le cadre du plan de relance, pour améliorer la performance énergétique du parc.
Le plan de sobriété a déjà permis d’atteindre les objectifs de réduction de 10 % des consommations attendues, ce qui témoigne de l’efficacité des mesures engagées.
Enfin, les choix à faire sont de plus en plus complexes car ils impliquent désormais une approche multicritère : au-delà de la simple efficacité énergétique, il faut considérer les types d’énergie utilisés, les impacts environnementaux globaux, et la cohérence avec les objectifs climatiques à long terme.
>> Quels sont les principaux défis rencontrés en France pour atteindre les objectifs de performance énergétique ?
Le changement des comportements et la sobriété
Un premier défi réside dans la sobriété énergétique, qui repose en grande partie sur le comportement des usagers. Il s’agit de convaincre durablement d’adopter une utilisation plus raisonnée des équipements, qu’il est utile d'éteindre les lumières ou encore que l’on peut vivre confortablement à 19°C.
Cela demande une véritable conduite du changement, qui comme dans le secteur privé, reste difficile à mettre en œuvre et surtout à maintenir dans le temps. La mobilisation des occupants et des gestionnaires est essentielle mais reste à conforter.
Les contraintes techniques et financières des travaux
Sur le plan des travaux, les “quick wins” sont souvent privilégiés au départ. Mais à mesure qu’on avance, les interventions deviennent plus complexes et coûteuses. Les gestes isolés (mono-geste) permettent un certain gain immédiat, mais rendent les gestes suivants plus difficiles à réaliser ou moins efficaces. L’enjeu est donc d’arbitrer entre interventions ponctuelles et rénovations globales, qui sont plus lourdes mais plus cohérentes à long terme.
Des arbitrages complexes et multicritères
Les décisions doivent aujourd’hui répondre à des critères multiples : réduire la consommation énergétique, limiter les émissions carbone, tout en respectant des contraintes budgétaires. Même avec un budget important, il faut composer avec les moyens humains disponibles, en effectifs comme en compétences, pour bien comprendre et gérer des bâtiments devenus de plus en plus complexes et intelligents.
Un besoin accru de maîtrise technique
La réussite dépend également de la capacité de la filière construction et rénovation à répondre à la demande. Les entreprises sont sollicitées massivement, et il faut s'assurer qu’elles soient en mesure de suivre en termes de qualité, de disponibilité et d’innovation.
La gestion de la data
La donnée énergétique est un autre point clé : savoir où on en est pour piloter efficacement. Or, il est encore difficile de remonter des données fiables à grande échelle. Cela nécessite l’équipement en capteurs, des systèmes de suivi performants, et parfois des remontées manuelles dans des bâtiments anciens ou peu équipés.
La diversité et la vétusté du parc
Enfin, le parc immobilier français est très hétérogène et vieillissant. Les rénovations impliquent souvent d’autres travaux comme les mises aux normes (par exemple accessibilité et sécurité) et la densification des sites, ce qui alourdit encore les coûts et la complexité des projets.
Pour bien décider, il faut d’abord bien connaître son parc, ce qui progresse mais reste encore un chantier en cours. La réussite passera donc par une meilleure connaissance, des investissements ciblés, une mobilisation collective, et une montée en compétence de l’ensemble des acteurs.
>> Les autres pays européens rencontrent-ils les mêmes défis ?
Les défis sont les mêmes partout en Europe, mais les capacités de mise en œuvre varient fortement, en fonction de la taille des parcs, des structures institutionnelles et des cultures nationales. Ce sont donc les modalités d'action, plus que les objectifs eux-mêmes, qui différencient les pays dans leur progression vers la décarbonation de leur patrimoine immobilier.
>> Comment le Décret Tertiaire, transposition de la Directive Européenne sur la Performance Energétique des Bâtiments (EPBD), appliqué en France, contribue-t-il à l’atteinte de ces objectifs de performance énergétique ?
Le Décret Tertiaire engage le parc immobilier vers une meilleure performance énergétique en fixant des objectifs clairs de réduction de consommation. Il met en mouvement les acteurs. Cependant dans les faits, plusieurs limites apparaissent :
L’ambition réglementaire est souvent supérieure à la capacité réelle de mise en œuvre, notamment à cause du rythme rapide des textes et de l’inertie du marché.
Le cadre réglementaire reste complexe en raison d’évolutions successives, notamment dans le cadre de transpositions de textes européens, la cohérence des textes peut s’en trouver fragilisée.
>> Quels enseignements avez-vous tirés sur la manière dont les autres pays gèrent la performance énergétique de leurs bâtiments ? (quelles bonnes pratiques pourraient être adaptées au contexte français)
L’énergie est un sujet depuis 50 ans, les solutions à mettre en œuvre sont connues depuis quelques années. Certains pays ont mis en œuvre des dispositifs efficaces sur des périmètres ciblés, avec des résultats mesurables. Cela prouve que les leviers techniques fonctionnent, à condition d’avoir une organisation adaptée.
Ce que l’on peut retenir :
Il n’y a pas un modèle unique à reproduire, mais plutôt des bonnes pratiques (méthodes d’analyse, outils de suivi, démarches locales) qu’il faut savoir adapter à notre contexte administratif, organisationnel et réglementaire.
Des pistes inspirantes :
Des pays comme l’Écosse travaillent en réseau d’expertise sur la digitalisation, ou sur des outils d’aide à la décision basés sur l’analyse des risques et la vulnérabilité du parc, pour mieux prioriser les actions.
L’approche multicritère, intégrant performance énergétique, décarbonation, économie, exposition au risque et adaptation climatique, est particulièrement intéressante à transposer.
>> Avez-vous identifié des indicateurs clés de performance utilisés à l’échelle européenne pour mesurer les progrès en matière de rénovation énergétique ?
Certains pays européens plus avancés dans le suivi de la performance énergétique disposent d’indicateurs plus détaillés et opérationnels. Ils permettent de :
Prioriser les gestes les plus efficaces,
Appuyer les plans d’investissement sur des données solides,
Et piloter les rénovations de façon plus stratégique.
Les types d’indicateurs identifiés sont la consommation d’énergie (kWh/m²), base commune de tous. Mais aussi des indicateurs environnementaux plus larges comme des critères de carbone, biodiversité ou circularité.
Les indicateurs les plus utiles sont ceux qui permettent d’objectiver les choix, de hiérarchiser les actions et d’évaluer l’impact global au-delà de l’énergie seule. Ces pratiques pourraient inspirer le modèle français, à condition d’améliorer la collecte et la qualité des données.
Gouvernance, coordination et compétences
>> Comment les responsabilités entre acteurs (locaux, nationaux, techniques) sont-elles réparties dans les pays étudiés ?
La répartition des responsabilités varie fortement selon l’organisation administrative de chaque pays, ce qui rend les comparaisons parfois complexes. Le pilotage de la performance énergétique est étroitement lié au découpage du patrimoine public et à la structure de l’État.
Par exemple :
Aux Pays Bas et en Italie, les agences en charge de l'immobilier de l'Etat qui ont été étudiées dans le benchmark gèrent un patrimoine assez similaire
En revanche, l’Irlande présente un système, avec un département de l’énergie au niveau central qui suit les performances de plusieurs entités via un plan stratégique commun.
Mise en oeuvre et perspective
>> Des recommandations issues du benchmark ont-elles déjà été mises en œuvre ou testées en France ?
Oui, certaines recommandations du benchmark commencent à être explorées ou mises en œuvre en France, avec un objectif central : mieux connaître et structurer la gestion du patrimoine public.
Exemples de recommandations :
Conventions d’utilisation incluant des annexes environnementales pour clarifier les relations propriétaire/occupant et engager des objectifs de performance partagés. Ce modèle « donnant-donnant » est fortement inspiré des pratiques observées à l’étranger.
Contrats de performance énergétique pour essayer de massifier notamment en groupant plusieurs bâtiments.
Solutions contractuelles innovantes, pour éviter que certaines opérations soient trop pénalisantes budgétairement
Des expérimentations sont en cours mais leur généralisation reste freinée par des enjeux budgétaires et organisationnels. Le levier principal reste une meilleure structuration des responsabilités et des engagements entre les acteurs.
Le sujet de l’adaptation climatique met en avant la dimension territoriale des enjeux énergétiques. À terme, cela pourrait amener à renforcer les coopérations avec les collectivités, qui sont au plus près des réalités locales et des vulnérabilités du terrain.
Ces échanges ouvrent des pistes de réflexion sur la manière dont les actions d’adaptation et de performance énergétique pourraient être mieux articulées entre les différents niveaux d’acteurs.
À propos de la direction de l'immobilier de l'État
La direction de l'immobilier de l’État (DIE) est une direction à portée interministérielle, représentant l'État propriétaire, qui pilote, modernise et valorise le parc immobilier de l'État de façon efficiente, durable et permettant aux agents de l'État d'effectuer leurs missions de service public. Elle fixe les orientations et le cadre de la politique immobilière de l’État, en intégrant notamment la transition écologique, la sobriété immobilière et les mutations des organisations du travail. Elle accompagne les occupants et les décideurs, et co-construit les solutions au plus près du terrain grâce à son réseau.
Pour en savoir plus : https://immobilier-etat.gouv.fr/
EGREEN vous accompagne de A à Z sur le volet énergétique.
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