Le financement de la rénovation performance des bâtiments tertiaires privés
- eGreen
- 6 oct.
- 6 min de lecture
Interview de l'ADEME

Nous avons récemment échangé avec Sarah MARQUET, coordinatrice d’études en économie; Augustin REMY, ingénieur et Frédéric ROSENSTEIN, expert rénovation énergétique tertiaire au sein de l’ADEME. Ils sont notamment revenu sur le rapport Financement de la rénovation performante des bâtiments tertiaires privés et sur la notion de valeur verte dans les bâtiments tertiaires privés.
Voici un résumé de nos échanges :
Propos recueillis par Marion DUBOIS
Contexte
>> Pouvez-vous présenter brièvement le rapport “Financement de la rénovation des bâtiments tertiaires privés” et ses objectifs ?
L’étude dresse un panorama complet des mécanismes de financement existants, des motivations et des freins rencontrés par les entreprises, y compris les plus petites structures. Elle s’appuie sur des groupes de travail et des études de cas qui ont permis de tester différentes pistes et de formuler des propositions concrètes et faciles à mettre en œuvre.
L’objectif est double : mieux comprendre les besoins et leviers des acteurs du tertiaire privé, et identifier des évolutions possibles afin de favoriser le passage à l’action. Elle a été menée en lien étroit avec le projet FiRéno+ qui a organisé des discussions en groupes de travail pour élaborer et enrichir certaines propositions.
Cadre réglementaire
>> Quelles sont les principales obligations réglementaires qui pèsent aujourd’hui sur les acteurs du tertiaire privé ?
Il y a 3 principales obligations réglementaires :
- le dispositif éco-énergie tertiaire qui impose à tous les bâtiments publics et privés de plus de 1000m² d’atteindre des objectifs progressifs de réduction de la consommation d’énergie finale par rapport à une année de référence (-40% en 2030, - 50% en 2040 et -60% en 2050).
- le décret BACS qui rend obligatoire l’installation de dispositifs de pilotage des équipements techniques (chauffage, climatisation, ventilation, éclairage, eau chaude sanitaire, production d’électricité) pour améliorer le suivi et l’efficacité énergétique.
- la loi APER qui prévoit l’intégration d’au moins 30% des dispositifs de production d’énergie renouvelable sur certains bâtiments.
Ces réglementations concernent l’ensemble des 8 branches du tertiaire privé : bureaux - administration, café-hôtel-restaurant, commerces, enseignement, santé, sport culture loisirs, transports & habitat communautaire.

Etat des lieux & freins
>> Quels sont les freins majeurs qui empêchent encore la massification des rénovations performantes dans le tertiaire privé ?
Les rénovations “d’ampleur”, c'est-à-dire combinant plusieurs gestes significatifs comme l’isolation de l’enveloppe, le remplacement des menuiseries ou des systèmes restent encore assez rares dans le tertiaire privé. Les entreprises privilégient souvent des actions simples et rapides car les dispositifs d’aides et d’accompagnement nationaux portent surtout sur les équipements plutôt que sur les travaux lourds de performance énergétique.
Plusieurs freins expliquent cette situation :
coût élevé des travaux
durée d’amortissement incompatible avec le cycle de vie de certaines entreprises (ex. petits commerces)
difficulté à accéder à des financements adaptés
complexité du parcours d’aides et de montage de projets
manque d’accompagnement technique pour définir un programme cohérent.
Les grandes entreprises, davantage sensibles à l’image ou à la valeur verte, franchissent plus facilement le pas, mais pour l’ensemble du secteur, ces obstacles freinent encore la massification des rénovations performantes.
>> Qu’est-ce qui motive aujourd’hui les entreprises à engager des rénovations énergétiques
Les entretiens menés dans le cadre de ce rapport montrent 4 motivations principales :
améliorer le confort et maintenir le bon état du bâtiment
maîtriser et réduire les charges face aux hausses des prix de l’énergie
respecter la réglementation
répondre à une démarche environnementale interne de type RSE.
>> Que révèle votre analyse des dispositifs actuels de financement ? Sur quels types d’opérations sont-ils efficaces, et où sont les manques ?
Les dispositifs actuels sont surtout efficaces pour des actions simples et peu coûteuses (ex. remplacement d’équipements), mais ils incitent encore peu à engager des rénovations ambitieuses permettant d’atteindre les objectifs du décret tertiaire à horizon 2040-2050 (-50 à -60 % d’énergie).
Les CEE, par exemple, représentent des montants intéressants mais faibles au regard du coût global de travaux lourds, et l’offre d’accompagnement reste peu lisible.
Le Fonds Chaleur, peu connu dans le tertiaire privé mais déjà mobilisé par les bailleurs ou collectivités locales, des appels à projets pour des portefeuilles de sites sont maintenant proposées aux gestionnaires de sites tertiaires privés
A ces dispositifs vient s’ajouter le programme PACTE Entreprise, lancé en janvier 2025 pour 4 ans, destiné aux TPE et PME. Il propose un réseau de conseillers de proximité ainsi que des solutions tout au long de leur démarche d’efficacité énergétique. Deux dispositifs, Diag
Perf’immo et Booster éco énergie tertiaire, sont d’ores et déjà rassemblés dans une nouvelle offre PACTE entreprise qui vise à jouer ce rôle de guichet unique.
Pistes & solutions
>> Quelles sont les principales pistes et solutions proposées par votre rapport pour renforcer et compléter les dispositifs actuels de financement de la rénovation du tertiaire privé ?
L’objectif est de créer des conditions financières et organisationnelles qui rendent ces rénovations plus accessibles et attractives pour les entreprises du tertiaire privé.
Le rapport formule un ensemble de pistes pour rendre les rénovations ambitieuses plus accessibles et attractives :
Rendre l’offre plus lisible en regroupant les dispositifs existants au sein d’un guichet unique, capable d’accompagner les entreprises de bout en bout (diagnostic, plan de travaux, montage financier, suivi et coordination)
Mieux articuler financements publics et privés avec des outils nouveaux : modulation de la taxe foncière selon la performance énergétique, amortissement accéléré des travaux pour libérer de la trésorerie, ou encore obligations de transition garanties par l’État pour réduire le risque des investisseurs.
Renforcer la communication sur les dispositifs existants et permettre aux collectivités de mobiliser certains outils fiscalement pour massifier les rénovations d’ampleur et d’atteindre les objectifs du décret tertiaire.
>> Parmi les adaptations de dispositifs existants que vous proposez, lesquelles semblent les plus prometteuses ?
Les propositions d’adaptation de l’étude sont les suivantes:
La possibilité pour les collectivités d’exonérer des droits de mutation les entreprises s’engageant dans une rénovation performante, lors de l'acquisition d'un local tertiaire. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) représentent des taxes que les collectivités locales et l’Etat perçoivent lors de la vente d’un bien immobilier (5,8% du prix de vente). Il s’agirait de permettre l’exonération totale ou partielle des DMTO des acheteurs s’engageant à réaliser des travaux conformes aux objectifs du DEET.
Le financement participatif pour les projets d’achat/revente de bâtiments pourrait inclure davantage de, voire imposer des travaux de rénovation énergétique pour les bâtiments. Les prêts participatifs ou obligations convertibles financent un grand nombre de projets immobiliers et pourraient être une solution complémentaire pour boucler le plan de financement d’opérations avec travaux de rénovation.
La contribution du locataire aux travaux de rénovation est déjà permise dans le secteur résidentiel et pourrait être également autorisée dans le secteur tertiaire. Un encadrement strict dans la durée (maximum 10 à 15 ans) et dans son montant (50% maximum des économies d’énergie envisagées) sera nécessaire.
Des certificats d’économie d’énergie à mieux valoriser sur des équipements « métiers » (cuisson, refroidissements, vitrines…). Pour certaines activités économiques (boulangerie, laverie, blanchisserie, restauration…), plus de 80% des consommations d’énergie sont liées à ce type d’équipements.
>> Quel rôle peut jouer la notion de valeur verte sur l’accélération de la rénovation du tertiaire privé ?
La valeur verte recouvre à la fois la valeur immobilière d’un bien rénové et l’image qu’une entreprise donne en affichant un patrimoine performant. Elle peut déclencher l’envie de se lancer avant même de penser au financement.
Pour les grands acteurs, comme les foncières et gestionnaires d’actifs, cette notion de valeur verte est déjà intégrée, notamment sous l’influence de la taxonomie européenne et des politiques de neutralité carbone. La préoccupation de ces acteurs est la liquidité de leurs actifs.
>> Comment mieux associer les acteurs financiers à la rénovation du tertiaire privé ?
Le blocage n’est pas seulement technique, il est aussi financier. Les banques et investisseurs ont une appétence croissante pour les prêts verts, mais restent prudents face au risque de solvabilité des entreprises, surtout des PME.
D’où l’intérêt de renforcer la coopération avec eux, de faciliter leur reporting réglementaire et d’envisager des outils comme un fonds de garantie pour sécuriser les prêts liés à l’efficacité énergétique.
>> Quels sont les facteurs déterminants pour rendre les dispositifs de soutien efficaces et réellement déclencheurs de projets ?
Il n’y a pas de solution miracle valable pour toutes les entreprises. L’efficacité d’un dispositif dépend surtout de l’état d’avancement du projet : certains peuvent jouer un vrai rôle de coup de pouce, mais seulement si le projet se tient déjà financièrement parlant.
Ce qui ressort comme essentiel, c’est :
la stabilité et la lisibilité des dispositifs pour donner de la visibilité et un accès simple est décisif pour déclencher des projets
mieux travailler avec les acteurs bancaires qui sont déjà soumis à la taxonomie européenne et développent des “prêts verts”, pour inciter au financement de projets innovants de rénovation
s’appuyer sur la notion de valeur verte, qu’elle soit immobilière ou d’image, qui constitue une porte d’entrée intéressante pour convaincre les entreprises, même si elle reste difficile à quantifier aujourd’hui.
>> Quelles autres initiatives ou pistes d’expérimentation peut-on mettre en avant pour faciliter la rénovation performance ?
Plusieurs pistes sont à explorer ;
L’expérimentation de nouveaux modèles pour prendre en charge la complexité des opérations de rénovation, de la conception au financement, et mieux répondre aux besoins d’accompagnement
La création d’un fonds de garantie pour rassurer les banques et faciliter l’accès des entreprises aux financements, en particulier pour les travaux lourds d’efficacité énergétique
L’enjeu commun est de rendre les dispositifs plus visibles, plus lisibles et plus stables dans le temps, pour que chaque entreprise puisse identifier ce à quoi elle a droit et construire un projet viable.
Pour aller plus loin
Rapport Financement de la rénovation performante des bâtiments tertiaires privés
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